Josée

« Madame à partir de demain vous ne retournez plus au travail, trop dangereux dans votre état, et surtout n’approchez pas les personnes malades. »

J’ai été greffée il y a 10 ans et au fond de moi j’estime que j’ai eu une chance inouïe dans ma maladie
Mon parcours a commencé en décembre 2016 lors d’un dépistage de mammographie prévu par la sécurité sociale. 36 chandelles sur ma tête à l’annonce éventuelle d’un cancer du sein. Je me suis dit, pour me remonter le moral, qu’il ne faut jamais passer d’examens médicaux pendant les périodes de fêtes.

Lorsque l’oncologue m’a confirmé d’un ton indifférent que j’avais bien un cancer c’était comme être chez Harry Potter : « tiens prends un bonbon surprise et regarde ce qu’il y a dedans ». Mais je vous assure je n’y étais pas, j’aurais préféré… car non seulement je n’aime pas les bonbons, mais mon cancer du sein je ne l’ai pas aimé non plus. Ce n’était pas drôle, mais il fallait que je résiste à une éventuelle déprime, alors j’ai annoncé à mes 2 sœurs déjà touchées par ce cancer « bienvenues au club des cancéreux les filles».

J’arrête de plaisanter, car ce n’est jamais drôle d’entendre ce genre d’informations, surtout lorsqu’on est seule avec une oncologue sans empathie et personne pour me tenir la main. La suite vous la connaissez opération, chimio, radiothérapie et une nouvelle annonce au bout de quelques mois.
Un nouveau bonbon surprise : « vos plaquettes sont trop basses on arrête tout et on va chercher ce qui ne va pas ».
Ce qui ne va pas ? Un bug, voilà j’ai vécu un bug avec ma chimio qui m’a flinguée ma moelle osseuse. Qui l’aurait cru ?

Voilà un autre chemin qui commence
Recherches pour être sûr qu’il s’agit d’une myélodysplasie et savoir où je vais me faire suivre. Pas question d’abandonner, ce n’est pas mon genre.

Mais la période qui va suivre va être difficile pendant 2 ans car après les examens il faut savoir comment cette myélodysplasie va évoluer : fatigue intempestive, infections, fièvres à 39° parfois pendant une semaine, jamais comprise par les urgences hospitalières : « ne vous inquiétez pas madame on va trouver », ni par certains médecins qui vous disent « soignez votre tête et tout disparaîtra ». Facile à dire ou inconscience de certains médecins ?
Au travail, pas mieux. Personne ne comprend pourquoi une collègue toujours si active devient d’une minute à l’autre tellement fatiguée qu’elle doit appeler en catastrophe son mari pour rentrer à la maison. Donc, je lutte contre une maladie que je ne connais pas et les chefs qui commencent à penser que je tire au flanc. On me prive de mes primes de fin d’année.

Mais l’argent n’est pas mon problème dans l’immédiat, je veux savoir ce qui m’arrive. Jusqu’au moment où mon médecin traitant me dit : « je ne peux plus rien faire pour vous, il faut absolument que le service d’hématologie prenne le relais ».
Et le service a pris le relais.

Madame à partir de demain vous ne retournez plus au travail, trop dangereux dans votre état, et surtout n’approchez pas les personnes malades
Le myélogramme a donc changé en 2 ans et montre une aggravation de ma situation neutropénie qui passe au grade 3, ce qui explique mes périodes infectieuses répétées et de plus je risque une aplasie, mais qu’est-ce qu’une aplasie ? Plus de défenses immunitaires.

Vu la dégradation de mon état hématologique et les conséquences thérapeutiques qu’elle entraîne il n’existe aucun traitement curateur en l’état actuel des recherches médicales. La seule solution est une allogreffe. N’oublions pas que nous sommes en 2012 et pas en 2022.
J’accepte la greffe, j’ai des petits-enfants et j’aimerais bien les voir grandir puisque la science me donne une chance de le faire, combien de temps ? On verra, ce qui est pris n’est plus à prendre. On commence donc le traitement de chimiothérapie en vue de la greffe. Mais il faut trouver un donneur, heureusement il existe une liste internationale qui donne des chances supplémentaires aux receveurs.

Une chance inouïe 4 : mois après on trouve un donneur, une américaine. Inespéré.
Quand le médecin est venu m’annoncer la nouvelle j’avoue que j’étais un peu abasourdie. Tout avait été si vite.

Mars 2012 la greffe
Une nouvelle expérience, pas douloureuse celle-ci heureusement et j’étais bien entourée, le personnel hyper-sympathique, proche des patients.
N’oublions pas que nous sommes dans un carré moyen, un peu sommaire pour la toilette et les toilettes. Je n’avais jamais vu une chaise percée et j’étais gênée lorsque j’avais de la visite. Je n’en avais pas beaucoup, mais tout de même. C’est là que pour la deuxième fois, j’ai fait raser ma tête lorsque les cheveux ont commencé à tomber, moins stressant que pour le cancer du sein. Tout de même, j’étais soutenue par le personnel médical et c’était réconfortant de ne pas être toute seule à subir tous ces changements. Mais j’avais la télé et mon PC, royal.

Avec impatience j’attendais ma sortie qui est intervenue 3 mois après
Je pensais que tout serait terminé après la greffe et que les 100 jours à l’hôpital de jour ne seraient qu’un suivi pour vérifier que tout allait bien. J’y croyais dur comme fer.

Et là, les GVH  (réaction dite du greffon contre l’hôte) ont commencé à me taquiner, car l’un des chromosomes du donneur est incompatible avec moi :

– GVH hépatique, 6 mois d’hospitalisation sans sortie avec un traitement qui ne se prend que sous surveillance médicale stricte. Dans notre tête on se dit dans un mois je serai à la maison, puis dans 2 mois, j’y suis restée 6 mois car les plombs ont sauté dans ma tête. Je voulais être chez moi avec mon mari. Alors ils ont trouvé un autre médicament qui m’a permis ce retour tant désiré ;
– GVH cutanée avec UV pendant 3 mois 3 fois par semaine et passer les nuits à mettre de l’eau froide pour calmer cette forme d’urticaire ;
– sécheresse vaginale à me taper la tête contre le mur ;
– les infections à répétition, qui n’a pas connu l’E. Coli se lève ;
– opération de la cataracte ;
– les médicaments qui provoquent le diabète cortico-induit et cette insuline dont je ne voulais entendre parler.

Et pour terminer cette liste incomplète les problèmes pulmonaires qui n’ont toujours pas été réglés à ce jour et qui me gâchent la vie, les sorties, qui me fatiguent car je tousse jour et nuit, et ce malgré les différents traitements : aérosols, antibiotiques divers et variés. Rien n’y fait. Bon j’arrête là car je sais que certains patients ont eu des problèmes bien plus importants que moi.

En définitive, les problèmes de santé ont été supportables grâce au soutien du milieu médical : aides-soignants, IDE, médecins…
Le plus dur est l’incompréhension familiale, à part mon mari qui vit ma maladie comme si c’était la sienne. Je suis rentrée à la maison après la greffe donc pour tout le monde j’étais guérie.

Ma fille m’a tourné le dos elle était fatiguée de me voir malade. Personne ne demande si j’ai des effets secondaires, les médicaments font maigrir/grossir (cortisone aidant) et tout le monde me trouve bonne mine:  « en définitive tout va bien pour toi ? ».
Ils ne veulent entendre qu’« un oui, tout va bien » mais la nuit j’ai des crampes aux jambes à tomber dans les pommes, le jour c’est aux mains, je ne dors plus, je suis tout le temps fatiguée, je me traîne, je déprime parfois, mais tout va bien. Oui, tout va bien parce que je garde toujours le sourire.

J’ai la chance d’être restée moi-même, d’avoir quelques amis, d’avoir su garder de l’empathie pour les autres, malgré la fatigue je suis toujours là et heureuse d’aider les autres.

Ce qui m’a manqué aussi c’est le manque d’informations pour les aidants
Je revois mon mari impuissant devant mes crises ne sachant pas quoi faire : attendre que la crise se calme ou m’emmener aux urgences ? Il me regarde angoissé attendant que je lui dise quoi faire et moi je temporise car je sais que si je vais à l’hôpital, il va rester tout seul à se morfondre.

Ce qui aurait pu m’aider et qui n’existait pas il y a 10 ans, ce sont les séances de sophrologie proposées maintenant par le service greffe aux patients, la famille et les aidants. Elles sont d’une aide efficace pour retrouver une vie qualitative du point de vue professionnel, familial, social, etc.

Et me voilà devant vous, témoignant de mon vécu
Oui, on m’a donné cette chance et je ne veux pas la gâcher, car au fond de moi je sais que des jours meilleurs viendront, et que même à 70 ans,  j’ai encore envie de faire plein de choses et de profiter de la vie qui me reste. De retrouver mes petits-enfants qui en grandissant auront leur indépendance et n’auront plus besoin de demander à leur mère de venir me voir.

Oui, la vie est belle, il faut juste la prendre comme elle vient. C’est peut-être pour ça que je suis toujours là et que j’ai un mari qui m’aime comme je suis.