Agnès P.

Ces désagréments m’agacent parfois mais me permettent aussi de ne pas oublier d’où je viens et de mesurer la chance d’être auprès des miens aujourd’hui.

Un message sur ma boite vocale, un message de mon médecin et la vie bascule.
C’est à la fois incroyable et tellement banal.
En janvier 2014, ce message me faisait entrer dans un monde inconnu, celui du cancer.
La greffe de moelle osseuse est une technique qui n’est pratiquée que depuis quelques dizaines d’années. Elle reste encore pleine d’incertitudes et ses chances de succès sont relatives. Avant l’annonce du diagnostic de myélodysplasie, je n’avais même jamais eu connaissance de ces pathologies, encore moins des greffes de moelle osseuse… Les mots du médecin à l’annonce du diagnostic ont été « il va falloir vous battre ». Alors j’ai développé des stratégies pour apprivoiser la peur, l’angoisse et l’inconnu : l’écriture, la communication avec mes proches, mais aussi la découverte de réseaux dits « virtuels » mais oh combien aidants des personnes vivants au contact de ces maladies, les associations aussi.

J’ai cheminé sur ce fil ténu entre l’espoir (espoir d’avoir un donneur compatible, espoir de guérir) et la préparation d’un départ qui pouvait arriver vite (mon espérance de vie au moment du diagnostic était de quelques mois et la seule issue était la greffe). J’ai décidé de vivre cette épreuve inattendue comme un voyage, un voyage à l’issue incertaine, parmi de paysages surprenants, et peuplé de personnages insolites : un univers stérile, les soignants et visiteurs cosmonautes, une transformation en chimère (la personne greffée avec un Adn de moelle différent de son Adn d’origine est un organisme qui n’existe pas à l’état naturel et est médicalement qualifié de « chimère »).

Cet état d’esprit m’a aidé à traverser les étapes de l’attente de greffe, de l’hospitalisation et des suites difficiles de la GVH. Je suis aujourd’hui une chimère très fière et immensément reconnaissante de ce parcours hors norme, qui m’a ouvert des horizons sur des mondes que je n’imaginais pas.

Trois ans après la greffe, le quotidien conserve des marques de ce voyage : des douleurs et raideurs articulaires et musculaires dont les séances de kiné ne viennent pas à bout, une fatigue qui arrive plus vite qu’auparavant, une GVH chronique ophtalmique… Ces désagréments m’agacent parfois mais me permettent aussi de ne pas oublier d’où je viens et de mesurer la chance d’être auprès des miens aujourd’hui.

Agnès P.