Guy Bouguet, Président et fondateur de l’Association ELLyE – Ensemble Leucémie Lymphomes Espoir.

« 23 ans après le diagnostic médical, le succès c’est d’être en vie ! »

Chronologie de la prise en charge de mon lymphome : de la vieille médecine à l’allogreffe

Avec le diagnostic d’un lymphome folliculaire, mon entrée dans le 2e millénaire ne s’est pas exactement passée comme je l’imaginais.

Le lymphome folliculaire est un type de cancer du système lymphatique qui fait partie des lymphomes non hodgkiniens (LNH). Il tire son nom des structures ressemblant à des follicules lymphoïdes observées sous microscope lors de l’examen des tissus affectés. Je ne connaissais rien de cette maladie qui était présentée par les anglo-saxons comme une maladie chronique et incurable, un diagnostic peu engageant. En France, les informations que j’ai reçues étaient plus nuancées; on m’a parlé d’un lymphome indolent qui pouvait se traiter comme une maladie chronique de type diabète.

Concrètement, le patient est placé sous surveillance active sans prise en charge particulière, et dès qu’il y a apparition de signes qui évoquent la reprise de la maladie, des traitements adaptés sont mis en place. La difficulté pour moi, était de me retrouver dans une situation d’attente thérapeutique après l’annonce de mon cancer, avec le sentiment de laisser évoluer librement la maladie. Cette situation ne me convenant pas, les médecins ont décidé de programmer une radiothérapie qui aurait dû théoriquement endiguer la pathologie, ce qui n’a malheureusement pas été le cas.

Suite à ce premier échec thérapeutique, les médecins m’ont proposé, dans le cadre d’un essai clinique, une poly-chimiothérapie associée à de l’interféron, une protéine naturellement produite par le système immunitaire en réponse à une infection virale ou à d’autres stimuli, qui peut être utilisée pour lutter contre les cellules cancéreuses.  Ce traitement administré sur une durée de 18 mois, présentait une très forte toxicité. À titre d’information, nous assistions au même moment, au lancement international d’un traitement qui allait révolutionner la prise en charge des lymphomes – le Rituximab – une immunothérapie basée sur l’utilisation d’anticorps monoclonaux. Nouvelle déconvenue, à l’époque la molécule n’était pas autorisée en première ligne de traitement en France, je n’ai donc pas pu en bénéficier immédiatement.

J’avais le sentiment que mon sort était lié à ce qui me semblait être de la « vieille médecine ».

6 mois sans voir ma famille avant le choix d’un départ en Polynésie française

Après 6 mois de traitement, les bénéfices ne sont toujours pas au rendez-vous et mes médecins décident de m’enlever l’interféron qui me rendait très malade. Je ne me suis pas donné les bonnes priorités dans la gestion de ce traitement. À cette période, j’évolue en tant qu’ingénieur dans une multinationale spécialisée dans la production de microprocesseurs,  une activité professionnelle intense avec de nombreux déplacements internationaux. Déjà à l’époque, rester dans la normalité était une idéologie qui passait par le travail. Une situation intenable qui m’a poussé à prendre la mauvaise décision, pour moi, mais surtout pour mes proches : je travaillais normalement jusqu’au vendredi soir, pour consacrer mes week-end à mon traitement… et ses effets secondaires qui me clouaient au lit jusqu’au lundi matin. Quand je pense à ma famille, je réalise aujourd’hui l’absurdité de cette situation.

6 mois de traitement plus tard, je décide donc de prendre un arrêt maladie pour me soigner dans un environnement radicalement différent et plus respectueux du bien-être de ma famille : avec l’accord de mon médecin hématologue, ma famille et moi programmons notre départ en Polynésie française pour une période de 6 mois.

Je quittais régulièrement la maison en catamaran pour aller faire ma chimiothérapie, seule ombre au tableau dans ce décor idyllique, je savais que mon traitement ne marchait pas; comme mon lymphome était asymptomatique, j’étais le seul à m’en apercevoir et je ne parlais pas à mes proches de l’éruption généralisée de ganglions, une nouvelle déconvenue difficile à accepter.

C’est à mon retour à Paris en 2003, alors en pleine rechute, que mon médecin hématologue, Pauline Brice qui exerçait dans le service de greffe de l’Hôpital Saint-Louis (AP-HP), m’a proposé une auto-greffe. Cette terminologie médicale, qui selon moi entretient une certaine forme de confusion, consiste à prélever des cellules souches hématopoïétiques chez le patient, puis à les réinjecter, après une chimiothérapie ou une radiothérapie intensive.  Après un nouveau traitement de chimiothérapie intense, mes cellules souches m’ont donc été réinjectées la veille du jour de Noël, un hasard du calendrier qui m’a porté chance puisque que 6 mois après, en milieu d’année 2004, j’ai pu reprendre mon travail normalement au sein de la même entreprise.

Rien ne laissait présager la nouvelle rechute en début d’année 2005 

Si cette dernière ne m’a pas surpris, car la rechute dans le lymphome folliculaire est inévitable, c’est la fréquence des rechutes qui me préoccupait, car je savais qu’il n’y aurait peu d’alternatives thérapeutiques pour tenter d’endiguer ce 3e épisode. Avec cette nouvelle rechute, mon lymphome folliculaire venait de gagner le grade de réfractaire, une terminologie médicale pour décrire la capacité de résistance de la maladie aux différentes vagues de traitements utilisés.

L’allogreffe, l’ultime ligne thérapeutique pour traiter mon lymphome

C’est en 2005 qu’on me propose une allogreffe, une procédure médicale consistant à transférer des cellules, des tissus ou des organes d’un donneur à un receveur qui n’est pas génétiquement identique. Mon médecin hématologue transfère mon dossier médical à l’équipe de greffe du Pr Gérard Socié, je recevrai ma greffe le 18 novembre de la même année. 5 années se sont écoulées depuis le diagnostic de mon lymphome, un parcours de soins long et exigeant qui ne correspond à celui d’aucun autre patient : il faut bien comprendre que les niveaux de fatigue physique et métabolique accumulés pendant ce parcours sont très différents selon les situations rencontrées par les patients, lors du passage de leurs statuts de patients sains à celui de patients allogreffés. Si pour certain ce parcours s’avère être relativement simple, pour d’autres, il est la cause d’un vrai choc émotionnel et psychologique avec la sensation de prendre de très gros risques.

Aujourd’hui à l’hôpital, on constate une vraie prise de conscience de ces enjeux à tous les niveaux, des personnels administratifs, aux équipes de soins en passant par les personnes qui nettoient les chambres.

Une association pour faire bénéficier le plus grand nombre de patients de cette expérience

Je suis encore hospitalisé à Saint-Louis en 2005, lorsqu’on organise la première réunion avec les futurs co-fondateurs de l’association qui sera lancée en 2006 sous le nom de France Lymphome Espoir.  Sont présents dans la salle réunion, 3 autres patients, 2 hématologues ; ensemble nous allons décider de fonder une structure associative sur le modèle de structures similaires que j’avais pu découvrir en 1999 alors que je vis aux États-Unis. Notre objectif était simple : diffuser gratuitement de l’information disponible aux patients français sur tous les réseaux disponibles. Il faut rappeler que les associations de patients n’existaient pas en France à cette époque, et que c’est auprès d’associations américaines, via des téléconférences, que j’ai pu m’informer sur ma maladie et les traitements disponibles.

Dès le départ, nous avions décidé d’inscrire les missions suivantes dans le cadre des activités de France Lymphome Espoir : informer les personnes atteintes d’une hémopathie lymphocytaire et leurs proches, promouvoir et développer des actions diversifiées de soutien et d’accompagnement, contribuer à la recherche-action sur les effets de ces maladies afin de mieux informer et former les professionnels de santé, développer une communication grand public pour défendre l’intérêt des patients, et faire connaître ces pathologies en engageant des actions visant à les faire prendre en compte dans les institutions ad hoc.

En 2021, nous avons fusionné avec une association de patients dédiée aux leucémies lymphoïdes chroniques pour créer l’association ELLYE (Ensemble Leucémie Lymphomes Espoir) spécialisée sur les hémopathies malignes.   C’est à partir de ce moment-là que le mois de septembre a été déclaré mois du cancer du sang. Cet événement qui débute le 1er septembre par la journée des leucémies lymphoïdes chroniques, et se poursuit par la journée des lymphomes le 15 septembre, nous permet de communiquer vers un large public au travers de réunions locales et de tours de France, pour une sensibilisation du grand public aux hémopathies malignes.

Faire bénéficier le HTC Project et son programme de mon expérience patient

Ma participation au Comité de campagne du HTC Project s’est faite naturellement. J’entretiens en effet un lien organique depuis des années avec l’équipe de Saint-Louis, en tant que patient du service Trèfle 3 bien sûr, mais aussi au travers du travail que j’ai réalisé avec l’association pendant de nombreuses années.  Ma relation avec le Pr Régis Peffault de Latour a été, dès le départ, tout aussi organique car nous partagions un intérêt commun pour le système de santé et surtout les aspects scientifiques des lymphomes et des nouvelles stratégies thérapeutiques disponibles. Faire partie de ce comité, c’est continuer à alimenter les discussions avec l’équipe sur des sujets d’actualités de la greffe, que ce soit la crise hospitalière ou sur des intérêts plus proches des patients et de leurs familles que je représente chaque année lors des réunions annuelles de l’EBMT.

Je me suis également engagé au sein de ce comité car je trouve que le statut du patient greffé n’est pas suffisamment connu du grand public. La greffe de moelle osseuse nous propulse dans une nouvelle dimension, une nouvelle vie en quelque sorte, dans laquelle les patients peuvent souffrir de complications pour le restant de leur vie. Ce constat nous conduit aujourd’hui à nous poser des questions sur le manque de moyens mis en œuvre pour le suivi des patients. Ce questionnement a parfaitement été saisi par l’équipe du HTC Project qui a permis le lancement de NewSpringForMe, la première solution digitale compagnon des patients greffés.  Les dimensions psychologique, nutritionnelle et de bien-être physique de l’accompagnement des patients sont au cœur de ce projet.  Si les pratiques dans le domaine de la greffe ont considérablement évolué depuis 17 ans, il reste encore des « trous » dans l’accompagnement psychologique des patients, qui des années après leur greffe, peuvent encore souffrir de troubles ou de syndromes post-traumatiques. Il faut bien se rendre compte que l’annonce de la greffe intervient lorsque le patient est en situation d’impasse thérapeutique, une expérience qui peut générer un choc émotionnel qu’il mettra plus ou moins de temps à évacuer. La nutrition est également un aspect très important quand on sait qu’un patient dénutri se fatigue plus facilement et réagira moins bien aux traitements.  Enfin, l’activité physique adaptée est le meilleur remède pour surmonter les difficultés de la maladie.

C’est pour ces raisons que notre association a décidé de soutenir le projet NewSpringForMe qui réunit dans une même solution digitale, tous les critères d’accompagnement que nous venons de citer précédemment, et qui sont pour nous fondamentaux pour l’amélioration de la qualité de vie des patients à toutes les étapes de la greffe, de la période de préparation à l’hospitalisation à celle du retour à une vie sociale et professionnelle.  Nous sommes très heureux aujourd’hui de voir que cette solution est en phase pilote d’évaluation auprès d’un groupe de patients du service de greffe de l’Hôpital Saint-Louis, une étape clé  avant le lancement d’une étude randomisée sur une plus large population.  Cette solution est également un outil extrêmement important pour les équipes de soin qui peuvent, grâce aux informations renseignées par les patients, intercepter l’apparition d’effets indésirables avant la survenue de complications plus graves. Prévenir ainsi les complications peut considérablement réduire la durée des périodes d’hospitalisation et donc améliorer la qualité de vie des patients.

Pour finir il nous semble fondamental, d’envisager, pour les futurs développements de NewSpringForme, grâce à un système de géolocalisation, de donner accès aux patients atteints de GvHD chronique (pour Graft versus Host Disease ou maladie du greffon contre l’hôte) à un réseau de spécialistes locaux (ophtalmologistes, cardiologues, néphrologues, etc.), pour leur permettre de bénéficier de conseils adaptés une fois rentrés chez eux.

La greffe de moelle est un protocole médical extrêmement complexe car elle fait de nous des patients au carré

La difficulté pour les médecins greffeurs est d’anticiper les réactions de leurs patients à la greffe, car ils doivent mettre dans l’équation l’ensemble des données cliniques et biologiques des donneurs : cela fait de nous des patients au carré avec des réactions démultipliées, beaucoup plus insaisissables donc.

Ma situation personnelle post-greffe a été un peu complexe car j’ai développé une GvHD chronique …mais aigüe, c’est à dire qu’à 5 ans de la greffe j’ai été sujet à des réactions sclérodermiformes liées à une GvH cutanée si violentes que j’étais en train de perdre ma mobilité, contraint d’être admis à Saint-Louis en fauteuil roulant. Mon médecin greffeur a ouvert alors sa boîte à outils de thérapeutiques pour prendre en charge ces effets secondaires. Il faut bien comprendre que les origines de la survenue de ces complications sont encore largement méconnues, et qu’il n’existe pas forcément de « guidelines » pour chacune d’entre elles, un exercice d’équilibriste délicat pour les médecins lors du choix du protocole thérapeutique.

Le HTC Project permet donc aujourd’hui de formaliser la recherche autour des complications de la greffe, en finançant un large panel de projets, du très fondamental à celui beaucoup plus pragmatique de l’accompagnement des patients, tous puisant dans un registre de données cliniques et biologiques accessible à tous les scientifiques. C’est la seule façon d’inscrire pour la première fois cette thématique de santé dans un programme international de recherche et d’innovation médicale, et de répondre rapidement aux besoins des équipes de soins et permettre aux patients, non plus seulement de survivre à leur greffe, mais de la vivre pleinement.

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